Quo vadis ?
Le trois septembre, il m’a fait peur. Son regard semblait furibond de nous voir mal alignés dans le couloir, dans son couloir même puisque la salle qu’il occupait était la seule dans cette partie surélevée qui menait aux escaliers. Il nous plaça un par un après avoir sèchement appelé nos noms sans prénom, ayant à peine jeté sur nous un rapide coup d’oeil condescendant. La cérémonie prit une dizaine de minutes où nous nous tînmes droit comme des carpes et silencieux comme des I. Lors, du haut de son estrade et d’un geste quasi ecclésiastique, il nous autorisa à prendre place, ce que nous fîmes dans le plus grand mutisme possible. Notre prof de français-latin se présenta alors.
Le quinze septembre, l’ambiance
fut tendue presque jusqu’au bout du cours puisqu’il nous rendait nos premières copies.
En ayant lu une, il me demanda : « Bremier, vous qui êtes ‘fils
de’, combien auriez-vous mis à cette copie ? ». Mon sens stratégique me
soufflant qu’il devait tout de même être assez sévère, voire peau de vache, je
suggérai un onze. Il sourit avec contentement et lança : «Vous êtes
bien sévère mon enfant. Mais rassurez-vous je suis plus juste et je vous ai mis
un seize qui fait de vous le meilleur élève pour l’instant de cette
classe. »
Il tendit alors à chacun sa copie en annonçant
à haute voix les notes qui allaient décroissant :
« Porret : douze ; Ermelin : onze… » Constatant qu’il
n’avait plus de copie en main nous nous mîmes à ranger nos oeuvres quand
s’éleva soudain sa voix : « donc Gerbillon : huit et
Sécho : sept. » Le mauvais calembour fit écarquiller les yeux de
toute la classe sauf du redoublant, plié en deux car il entendait cette blague
pour la seconde fois, juste à la même période de l'année.
A partir de ce jour nous n’eûmes
de cesse de guetter les moments impromptus de sa fantaisie, parfois débridée.
Mon ami Emmanuel, grand graveur de bite sur table devant l’éternel se vit
surnommer « le Révérend Père » à chaque interrogation. La jeune
Muriel ne vint qu’une fois en mini-jupe, car il la fit passer au tableau ce
jour-là pendant dix minutes sans même l’interroger. Il lui arrivait pendant les
longs devoirs de sillonner les rangs puis ayant choisi sa victime apeurée de
battre la mesure sur le coin du bureau à coup d’une verge de noisetier
qu’il chérissait. Au cours des mêmes devoirs il sortait parfois, et
tandis que nous communiquions entre nous les résultats de nos cogitations,
voilà-t-il pas que sa figure hilare apparaissait au coin de la fenêtre donnant
sur le couloir
Cette année qui s’annonçait sous les auspices d’une rigueur extrême se finit donc dans la convivialité la plus agréable qui soit, puisque nous ne manquâmes pas de lui offrir un cadeau de fin d’année, à savoir un biberon rempli d’une eau-de-vie de prune qu’il goûta devant nous.
En cette époque où je suis moi-même devenu celui qui enseigne, je me souviens de cette période avec une grande reconnaissance pour le « Pater Optime », car il voulait que nous l'appelassions ainsi, pour toute ses leçons.