C'est pas Solexine, c'est...
Appelons-la Ganja, il en est bien
qui veulent qu’on les appelle Venise quelle drôle d’idée, appelons-la Ganja,
nous eussions pu la nommer Suze-cassis ou Picon-citron, Prunelle ou Cocaïne, un
nom de substance psychotrope lui va si bien. Ou Marguerite pourquoi pas
Marguerite car elle est un bouquet, un bouquet de dents avec un corps malingre
pour vase. Appelons-la Ganja, plongeons-la en société, pas par méchanceté, par
esprit scientifique.
Nous constatons bientôt que Ganja ne se mélange pas vraiment. Elle ne se dilue pas dans des relations humaines, ce n’est pas une question de rejet, c’est une question de densité. Le commun des mortels vit dans un monde où Ganja surnage, elle fait tache d’huile, elle connaît des préoccupations que vous n’auriez oser imaginer. Quand elle était petite, Ganja était la seule agent du FBI dans son collège. Elle en était fière, assez fière pour arborer sur son pull multicolore un panonceau scotché et qui annonçait au Stabilo-Boss « FBiAïe ».
En tant qu’agent de terrain, Ganja n’est guère efficace, aujourd’hui encore tandis que vous sussurrez « bonjouuuuur » à son oreille c’est à peine si elle remarque quoi que ce soit. Elle se ranimera sûrement à un moment donné, un effluve peut-être car vous canardez du bec, vous la verrez alors se plier en deux et pousser un cri de cerf en rut qui tremble des genoux : elle rit. Elle est comme ça Ganja, naturelle, trop naturelle. Ne lui demandez pas de fixer son attention. C’est cruel.
Personne ne lui parle mais tout le monde se souvient d’elle. Son amoureux vous racontera que quand il vint coucher chez elle, elle lui écrivit une lettre commençant par « Mon cœur » et finissant par « et surtout n’oublie pas une brosse à dents pour te laver l’oignon ». Sa prof de danse narrera la fois où le spectacle dut s’arrêter parce que Ganja, morte de rire, ne voulait pas sortir de derrière la grande boule qu’on avait amené sur scène : c’était une super bonne cachette. Son prof de français vous dira qu’un jour elle écrivit un conte de fées se terminant par les mots « et la princesse était tellement laide qu’elle embrassa un crapaud écrasé qui se transforma en prince tout moche. »
Pour preuve il ne vous sortira pas la copie. Il l’a rendue la copie.
Par contre il a gardé le crapaud écrasé.
Celui qui était dans la copie.
Peut-être un jour il l’embrassera pour voir.